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L'environnement préparé Montessori

pour une communauté adolescente

 

Conférence, 30/11/2022

 

 

Introduction

 

Maxime :

            « Nous devons reconnaître l’adaptation comme la base sur laquelle nous pouvons construire une conception d’éducation. Cela rend possible de l’asseoir sur une base scientifique. Pour étudier la question de l’adaptation, il est nécessaire d’étudier l’environnement. »

Maria Montessori, 1946. London Lectures

L’environnement n’est pas qu’un contour physique. C’est l’ensemble des constituantes dans lequel chaque individu se trouve et peut agir, s’adapter et se développer. C’est en un sens une ambiance, une atmosphère nous entourant et englobant, et qui de fait module et corrige nos actions bien mieux que la répression et les rappels des adultes. Un jeune de notre communauté nous a d’ailleurs récemment dit que le meilleur levier de changement ici se trouve être l’environnement.

L’environnement physique doit permettre un travail pour tous ainsi qu’une place pour chacun. Cela signifie un environnement riche en potentialités diverses, pour que chaque jeune puisse apporter sa pierre unique à l’édifice. L’environnement  humain comprend les adultes, travaillant côte à côte des adolescents. Ils doivent savoir travailler à côté, parfois guider et donc mener devant, et parfois s’effacer et rester à l’arrière.

 

Manuel :

L'environnement préparé pour la communauté adolescente est propre à ce plan de développement, tel que le Dr. Montessori a observé ses caractéristiques psychiques, ses besoins et son développement. Nous pouvons décrire cet environnement d'après ses composantes physiques et son organisation sociale, sachant qu'il est défini comme « une école expérimentale de la vie sociale ». Les composantes physiques sont celles d'une maison à la campagne, dans un cadre de vie rurale fondée sur l'économie agricole. La communauté adolescente y est en vie résidentielle et s'occupe de la tenue, de l'administration et de la gestion économique de la maison, s'essayant par la pratique à la vie sociale adulte. Les besoins de l'activité économique de la communauté adolescente sont à la base de l'environnement physique : la terre et les bâtiments de la ferme pour la production et l'élevage, qui constituent une initiation à l'indépendance dans le domaine alimentaire ; la transformation des productions alimentaires et l'artisanat, avec les ateliers utiles à cette activité, sont une introduction au secteur secondaire de l'économie ; une hôtellerie et une boutique permettent d'explorer le secteur tertiaire, les échanges et les soins du service. Ces domaines sont interdépendants et forment une unité d'organisation sociale qui articule la vie de la communauté adolescente et où les études trouvent leur intérêt et leur utilité pratique. Cet environnement est exigent et il permet à l'adolescent d'observer concrètement les conséquences de ses choix d'organisation, ce qui l'aide dans son appropriation du monde réel et dans sa formation à la vie de futur adulte.

 

I. Un environnement pour passer de l’enfant à l’adulte

 

Maxime :

            « L’adulte utilise et transforme l’environnement, pendant que l’enfant utilise l’environnement pour des fins intérieures »

Maria Montessori in A Montessori Community for Adolescents by Camillo Grazzini, p96

L’adolescence est un carrefour entre l’enfance et l’âge adulte. Maria Montessori la présente comme le troisième plan de développement. C’est une période particulièrement sensible pour eux. Les adolescents vont donc passer d’un développement intérieur, d’une orientation purement interne, vers l’affiliation à un groupe et vers le travail sur l’environnement.

Ce travail sur l’environnement correspond à la construction de la Supra Natura, la Super Nature qui permet à l’être humain de se construire des moyens de logement et de communication unique au monde. Ce travail doit permettre au jeune de se rendre compte qu’il peut factuellement agir sur l’environnement, et créer un réel changement – pour le pire comme le meilleur. L’environnement, ainsi modifiable et modifié de manière permanente, permet au jeune d’apprendre par essais – erreurs en toute sécurité. Il conscientise son action et peut percevoir les conséquences associées, il prend conscience de son impact sur le monde par des expériences concrètes. Le potager et les animaux ont en effet cette faculté de présenter un feedback évident en cas de mauvais traitement.

L’affiliation à un groupe, que tant de scientifiques ont associé à l’adolescence, peut se faire à travers la vie et le travail entre pairs. Dans ces conditions où le temps et l’espace sont laissés aux jeunes, ces derniers peuvent concrètement apprendre la vie en communauté, par et grâce aux autres. Ils peuvent tester différents comportements et différentes organisations sociales et se rendre compte des conséquences – notamment sur l’attitude des camarades vis-à-vis de soi. Lorsque nous vivons cinq jours sans pause ensemble, les détails dans l’attitude de chacun ne peuvent plus être laissés de côté, et de vives discussions naissent très facilement !

 

Transition I-II

 

Manuel :

Nous souhaiterions exposer la définition du travail que le Dr. Montessori a formulée selon sa propre vision et sa personnalité, et selon ses observations du travail de l'enfant. L'observation de l'enfant montre que le travail est naturel et vital, car c'est par lui que l'enfant peut se développer. Dès que le travail cesse, le développement des capacités cesse :

 

« D'instinct, les enfants ne fuient pas le travail, ils s'y précipitent plutôt, car le travail est la nourriture de leur vie intérieure. Cela peut vraisembalblement être le cas pour le travail des adultes. On peut imaginer des adultes travaillant dans une société idéale, aussi heureux dans leur travail que l'enfant de notre école. En réalité aucun être humain ne tend à la paresse s'il est vraiment heureux, mais ce dont il doit se soucier, c'est de trouver son propre travail. » (1913 Rome Lectures).

 

Le Dr. Montessori mentionne cette belle citation du poète libanais Khalil Gibràn, extraite du Prophète : « Le travail est de l'amour rendu visible ». L'amour est central dans le développement de l'enfant : celui au sein de la famille, l'amour du monde autour de lui au contact duquel il explore et se nourrit de découvertes, puis plus tard l'amour de l'humanité et de l'ensemble du vivant dans une posture de reconnaissance pour le bénéfice des interdépendances et de la complémentarité du travail des espèces, cette reconnaissance s'exprimant à l'adolescence dans un élan contributeur tourné vers la société. Le travail naturel exprime donc l'engagement, la contribution, le soin. Si l'on voulait établir un symétrique entre deux postures sociales fondées sur deux visions du travail, l'une commune consisterait à prendre, pour soi, l'autre consisterait à prendre soin.

L'adolescent s'apaise et développe une posture engagée dans son travail quand les opportunités de travaux que lui offre l'environnement préparé lui permettent d'expérimenter la valeur sociale et morale du travail, de son travail, et qu'il peut éprouver la valorisation de sa personne par le service à la vie de la communauté. Ce sentiment de valorisation est corrélé au caractère authentique de l'environnement sur le plan social, soulignant les objectifs et réalisations du travail, ainsi que leur caractère contributif. Il est associé au développement moral de l'adolescent, mettant en valeur les bénéfices du travail et de l'activité.

 

II – Un environnement pour le développement de la personnalité de l’adolescent

 

Maxime :

Maria Montessori nous donne pour tâche, à nous adultes, de construire un environnement pour l’enfant dans lequel il peut être actif. Cette activité doit être tout à la fois physique et mentale.

Le travail physique a différents aspects importants. En effet le jeune en puberté redécouvre son corps et ses capacités, souvent en redevenant gauche et maladroit. Nous devons lui fournir un vrai travail qui lui permette de développer sa mobilité – et ainsi éviter de construire des cerveaux sur pieds – et plus encore qui lui permette de trouver ses limites, et les dépasser. Nombreux sont les jeunes ne se sentant pas capable de réaliser de grandes choses, et pourtant ! C’est bien cela que nous devons leur offrir : l’opportunité de réaliser de grandes œuvres, pour eux, pour l’amélioration de l’environnement, pour les autres et le confort de tous. Les jeunes, face à un vrai travail, se retrouvent en pleine responsabilité et développent une forte confiance en eux.

Ce travail physique est associé à un double travail cognitif : celui de structuration et celui de création. Les jeunes, pour devenir de jeunes adultes, observent et analysent le sens des actions du système adulte. En ce sens l’environnement préparé se doit d’être vrai, d’être en cohérence avec les valeurs que nous espérons voir se développer chez eux. La cohérence est clé, car c’est cela que l’adolescent recherche. En parallèle, l’environnement doit être beau pour inspirer l’âme du jeune en développement. Par beau, j’entends ouvert, vaste, enraciné dans une culture, entrelacé et en relation avec la nature foisonnant à son contact. Pour ouvrir la créativité et la curiosité du jeune, le chant de l’oiseau au matin est infiniment plus riche que le stress du métro ou du train. Quoi de mieux comme environnement vrai et beau qu’une maison, une ferme respirant au gré des saisons ?

 

Manuel :

C'est par le développement de la personnalité que s'élaborent les buts du travail. A l'adolescence, au cœur de ce processus se trouvent l'expression de soi et les implications sociales du travail. L'adolescence est une renaissance sociale et une période de forte création de soi, de créativité. Dans la transition de la famille à la vie indépendante dans la société, de l'enfance à l'âge adulte, l'individu se construit par une association avec ses pairs où se fortifient sa connaissance de lui-même, la confiance et l'estime de soi de l'expression et du partage du travail de la communauté supplantant le doute d'une personnalité en métamorphose. Dans ce double processus d'expression et d'association par la vie sociale qu'offre l'environnement préparé, l'adolescent est au cœur d'une dynamique d'initiatives, de concertation et de décisions ayant des implications concrètes. Cette organisation, associée aux travaux pratiques dans l'environnement, concourent au développement de toute la personnalité de l'adolescent, développement physique, social, moral. C'est un environnement dont l'organisation favorise et soutient l'écoute de chacun, où prévaut la considération de chaque individu.

Ensuite, l'environnement préparé selon les observations du Dr. Montessori répond au besoin d'ordre et de sérénité de l'adolescent, sensible aux phénomènes sociaux par les caractéristiques psychiques de son stade de développement. Ces deux vertus sont particulièrement soutenues par le cadre de grande nature, où la beauté de la campagne s'allie au calme environnant, aux paysages inspirants et au spectacle paisible de la vie rurale. 

 

III. Un environnement pour l’indépendance et les interdépendances

 

Maxime :

            « L’environnement doit promouvoir, non seulement la liberté de l’individu, mais aussi la formation d’une société. »

Maria Montessori dans Education and Peace, 1949

L’environnement apporte aux jeunes la possibilité de travailler de manière concrète, nous l’avons vu. Ce travail amène à une production, qu’elle soit de ressources primaires comme la nourriture, secondaire avec par exemple le travail du bois ou tertiaire avec l’hôtellerie. Cette production amène à une prise d’indépendance économique, et à de nombreux échanges de natures diverses. Avec les agriculteurs du voisinage, avec des clients, avec des vendeurs. Et ces échanges amènent le jeune à expérimenter les différentes phases du commerce, entre production, conservation, transport, vente et consommation. Et cette expérience quotidienne permise par l’environnement leur permet de prendre conscience du besoin du travail des autres. C’est en prenant conscience de notre propre valeur et de la valeur de notre travail que nous pouvons reconnaître la valeur de la société entière.

De même, le travail dans et sur l’environnement force à expérimenter différentes organisations sociales, avec des responsabilités quotidiennes, hebdomadaires, annuelles, certaines fixes et d’autres évolutives. Les jeunes prennent conscience du rôle de chacun dans la communauté lorsque celui devant préparer le petit déjeuner tombe malade. Ces interrelations constantes développent chez l’adolescent un sens plus fin des interdépendances entre soi et les autres membres de la communauté, entre la communauté et les autres communautés voisines ainsi qu’avec la société, mais aussi avec le vivant dans sa forme la plus large. Le chat du voisin, les souris chapardeuses, le moineau passant, les limaces et le renard, tous peuvent être pris en compte lorsque les jeunes travaillent tant leur indépendance sociale qu’économique.

Tout part de l’environnement préparé et de son rôle. Quelle ambiance, quelle bulle culturelle souhaitons-nous proposer aux adolescents ? Vers quelles valeurs souhaitons-nous les voir se développer ? Telles sont les questions lorsque vient en tête la question de l’environnement.

 

Conclusion

 

Manuel :

Ce que Maria Montessori désigne par « environnement préparé », c'est ce qu'elle définit encore comme « les meilleures conditions possibles » pour le développement de l'individu selon le stade de sa croissance. Pour la communauté adolescente, l'environnement préparé de la maison à la campagne converge en direction de la construction de l'indépendance économique et sociale de la personnalité en formation : la vie résidentielle de la communauté, l'agriculture, l'artisanat, la tranformation des produits de la terre et le musée des machines, l'hôtellerie, la boutique et les échanges qu'ils apportent avec la vie locale et plus lointaine, l'organisation sociale que requiert la vie de la communauté pour qu'harmonieusement se mène l'activité, dans le sens d'une formation du futur adulte aux mécanismes sociaux et aux fondements moraux du travail humain en corrélation avec les équilibres du vivant. Cet environnement permet à l'adolescent de développer une personnalité instruite par l'expérience et par la science, ainsi qu'une personnalité critique, quant au monde réel et à ses perspectives d'évolutions, intégrant les incidences de l'activité de l'homme dans ces évolutions. « L'exploitation partielle entraînerait un insuccès », souligne le Dr. Montessori : l'adolescent a besoin d'une vue et d'une expérimentation d'ensemble du panorama de l'activité économique et sociale de son espèce, des diverses cultures, des espèces interdépendantes qui concourent au maintien et à l'essor de la vie, par le passé et dans l'époque de son temps. Enfin, la nature offre un cadre soutenant l'inspiration du jeune esprit en formation, un cadre sain par ses qualités propres et nutritives sur le plan physique et psychique, ce qui est une caractéristique de l'environnement préparé Montessori.

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